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Après réflexion[s]… Pas de droits sans preuve

Pas de droits sans preuve

Après réflexion[s]… Pas de droits sans preuve

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Pas de droits sans preuve

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Le déséquilibre de la preuve dans les rapports de travail : un obstacle aux droits des travailleurs

« Le maître est cru sur son affirmation, pour la quotité des gages, pour le paiement du salaire de l’année échue et pour les acomptes donnés pour l’année courante ». Les rédacteurs du Code civil de 1804 pouvaient-ils faire pire que cette disposition, en vigueur jusqu’en 1868, dans la dénégation des droits des travailleurs ? Parmi les nombreuses manifestations du déséquilibre inhérent aux rapports de travail, il en est en effet une qui apparait masquée, mais n’en est pas moins majeure : le déséquilibre de la preuve. Le droit pourra toujours reconnaitre des droits. Sans preuve, ils resteront théoriques. La mission est particulièrement délicate pour le salarié alors que les moyens de preuve sont pour la plupart la propriété de l’employeur. Certes, il peut produire en justice des documents de l’entreprise mais les conditions en sont très restrictives puisque les documents produits doivent être strictement nécessaires à sa défense dans le procès et qu’il doit avoir eu connaissance de ces documents à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Pour rééquilibrer la preuve dans les rapports de travail sans
heurter le principe de loyauté de la preuve, le législateur, sous l’influence du droit de l’Union européenne, a suivi une voie fort heureusement opposée à celle de l’ancien article 1781 du Code civil, cité plus haut : l’aménagement de la charge de la preuve en faveur de la partie faible, en l’occurrence le salarié.

 

Heures supplémentaires : la règle de partage de la preuve en faveur des salariés

Un aménagement qui s’applique en matière de discrimination – le salarié n’a pas à prouver la discrimination mais des éléments la laissant supposer – mais aussi en matière de temps de travail, comme l’illustre un arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 décembre dernier. Les
ayants droits d’un salarié qui s’était donné la mort après avoir indiqué la veille à son psychiatre qu’il était épuisé par son travail, demandaient la condamnation de son employeur pour violation du droit au repos. Pour ce faire, ils ont produit un rapport de l’inspection du travail retraçant son amplitude de travail, et indiquant l’horaire des premiers et derniers mails les jours de télétravail, les heures d’arrivée et de départ de l’entreprise les jours de présentiel. L’employeur leur opposait que, s’agissant d’un salarié bénéficiant d’une liberté dans l’organisation de son travail, l’amplitude horaire ne prouvait pas qu’il était en permanence devant son poste de travail. La Cour de cassation rejette l’argumentation de l’employeur, rappelant que c’est sur lui que pèse la charge de prouver le respect du droit au repos. Même rejet sur le terrain des heures supplémentaires puisque la règle de partage de la preuve exige du salarié, non qu’il prouve le nombre d’heures effectuées, ni qu’il communique des éléments propres à « étayer » sa demande en paiement d’heures supplémentaires mais, depuis peu, qu’il « présente » des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, ce que ce dernier n’est pas parvenu à faire.

 

Charge de la preuve en matière de temps de travail : rappel de la responsabilité de l’employeur

Cet arrêt, parfaitement conforme au droit de l’Union européenne, sonne comme un précieux rappel face à une petite musique lancinante. Les règles aménageant la charge de la preuve, à commencer par celles sur le temps de travail, rendraient la tâche trop difficile pour les entreprises. Les salariés étant de plus en plus autonomes dans l’organisation de leur travail, la charge de la preuve pesant sur l’employeur en matière de repos et d’heures supplémentaires serait aujourd’hui une preuve impossible. Face à ce discours critique, qui irradie dans bien
d’autres pays de l’Union européenne, il importe de rappeler que le rapport de travail est un rapport de subordination, y compris pour les salariés autonomes dans leur organisation, et que l’employeur dispose, en vertu de son pouvoir de direction, de la possibilité de contrôler
ses salariés, ne serait-ce que de celui de leur imposer de déclarer leurs heures de travail. La jurisprudence sur le forfait-jours, illustrée par un autre arrêt rendu le 14 décembre dernier qui annule une convention de forfait au motif que la convention de branche sur laquelle elle se fonde ne garantit pas que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables, est là pour montrer que l’autonomie dans l’organisation ne dispense pas l’entreprise de limiter la charge de travail de ses salariés. Ce qui vaut pour le forfait-jours vaut aussi pour l’ensemble des télétravailleurs qu’il ne faut à aucun prix sortir de la législation sur le temps de travail au motif que la distance rend plus difficile le contrôle du temps.

 

La Cour européenne des droits de l’homme renverse les règles sur les modes de preuve : les salariés de plus en plus exposés à l’intrusion dans leur vie privée

Si la jurisprudence tient bon sur le terrain de la charge de la preuve, les secousses sur la question de l’admissibilité des modes de preuve, sous l’influence non plus de la Cour de justice de l’Union européenne mais de la Cour européenne des droits de l’homme, sont en revanche sources d’une forte inquiétude du point de vue pratique. L’interdiction de produire des éléments de preuve attentatoires à la vie personnelle des salariés a en effet volé en éclats sous l’effet du principe de proportionnalité promu par la Cour de Strasbourg qui a par exemple jugé recevables les vidéos clandestines de caissières d’un supermarché. Bien que n’ayant pas fait l’objet d’une information préalable, ces vidéos ont été jugées recevables parce qu’existaient des soupçons graves de vols et que les caissières avaient été filmées dans un lieu ouvert au public et uniquement à certains endroits.

Bien entendu, la mise en balance de droits fondamentaux par le jeu du contrôle de proportionnalité constitue une donnée suffisamment assise en droit européen et constitutionnel pour qu’il ne puisse être envisagé de la mettre en discussion. Elle a aussi permis, sur les questions de preuve, de protéger l’effectivité du droit à la preuve des salariés et des syndicats qui se heurtaient au refus de l’employeur de donner accès à toute information intéressant la vie privée de ses salariés. Un syndicat peut produire devant le juge des référés des décomptes de durée de travail de salariés afin de faire constater la violation de l’interdiction du travail dominical, tout comme les salariés qui n’ont pas en leur possession les éléments laissant supposer la discrimination peuvent demander au juge des référés d’ordonner à l’employeur la production d’éléments indispensables à l’exercice de leur droit à la preuve sans que celui-ci puisse opposer la protection de la vie privée de leurs collègues ou le secret des affaires.

 

Vers l’interdiction pure et simple de certains dispositifs de surveillance pour garantir l’équilibre des parties dans l’administration de la preuve

Pour autant on voit ici également poindre l’argument suivant lequel, face à la difficulté à contrôler les salariés bénéficiant d’une certaine autonomie, les entreprises n’auraient d’autre choix que d’installer sur l’ordinateur de leurs salariés des caméras clandestines ou des
logiciels de keylogging permettant d’enregistrer l’ensemble des frappes sur le clavier !

A ce titre, l’admissibilité des modes de preuve a d’ores et déjà été assouplie puisque des éléments recueillis par la collecte d’adresses IP non déclarée préalablement à la Cnil, avant l’époque du RGPD, ou par le biais du compte Facebook d’un salarié auquel l’employeur n’avait pas accès peuvent désormais être produits lorsqu’ils sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte portée au droit au respect de la vie personnelle du salarié est proportionnée au but recherché. Jusqu’où ira-t-on ? La CNIL montre le chemin en écartant purement et simplement, même si sa formule est prudente, un certain nombre de dispositifs de surveillance décrits comme particulièrement intrusifs : partage permanent de l’écran, caméra vidéo ou enregistreur audio branchés en permanence, keylogging,… Comme cela a été décidé pour la filature du salarié, sans que l’on sache s’il en est encore ainsi aujourd’hui, certains éléments de preuve devraient être purement et simplement interdits. Même si la logique de proportionnalité est aujourd’hui prégnante, le droit peut aussi, dans certains cas, procéder par des interdictions pures et simples comme il le fait, sur le fondement de la loyauté, lorsque des preuves sont obtenues par stratagème (lettres piégées remises à un facteur soupçonné de vol de correspondances, à son insu, faux clients envoyés dans un magasin pour surprendre une caissière, attitude de l’employeur destinée à provoquer la faute d’un salarié).

Il n’est pas question de soutenir qu’on assiste à un retour de l’esprit du 19ème siècle. Pour autant, l’époque actuelle et les techniques invasives de surveillance qu’elle rend possible ne nous mettent pas à l’abri de formes inacceptables de preuve, sur lesquelles la vigilance doit
rester de mise si l’on veut garantir l’équilibre des parties dans l’administration de la preuve.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column css= ».vc_custom_1678358945848{margin-top: 32px !important;margin-bottom: 32px !important;} »][vc_btn title= »Voir PDF » shape= »square » link= »url:https%3A%2F%2Fwww.brihikoskas.fr%2Fwp-content%2Fuploads%2F2023%2F04%2FBRIHI_KOSKAS_ARTICLE_PAS_DE_DROIT_SANS_PREUVE.pdf|title:Pdf%20Pas%20de%20droits%20sans%20preuve|target:_blank » el_class= »btn-pdf-download »][/vc_column][/vc_row]

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