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Les travailleurs des plateformes sur le chemin du salariat ?

Le sujet des travailleurs des plateformes est essentiel, à la fois par l’ampleur du phénomène qui concernera selon les estimations 43 millions de travailleurs en Europe en 2025 , et par ce qu’il traduit des tensions de plus en plus fortes entre indépendance et salariat dans le monde du travail. Dans l’orchestre européen qui a beaucoup de mal à s’accorder, la position commune du Conseil des ministres de l’Union européenne sur un projet de directive, le lundi 12 juin 2023, est d’autant plus significative. Les ministres de l’emploi et des affaires sociales reconnaissent, dans le prolongement de la voie ouverte par la Commission européenne en décembre 2021, la nécessité de mettre en place une présomption de salariat au profit des travailleurs des plateformes lorsqu’un certain nombre de critères sont remplis (montant de rémunération, niveau de surveillance électronique, choix de définir ses horaires, etc). Concrètement, la plateforme devra saisir le juge pour faire reconnaitre la qualité de travailleurs indépendants de ses chauffeurs VTC et autres livreurs. Les contours exacts de la présomption sont encore incertains, notamment sur le nombre de critères requis pour la faire jouer, mais le choix du salariat parait définitivement acté.


La France aurait pu faire ce choix depuis longtemps, en complétant la liste de la partie VII du Code du travail, dans laquelle figurent d’ores et déjà, entre autres, mannequins, assistant(e)s maternel(le)s, artistes du spectacle, journalistes. Ces catégories de travailleurs se voient appliquer tout ou partie du Code du travail, par détermination de la loi, sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence d’un lien de subordination. Le choix a été exactement inverse pour les travailleurs des plateformes. Une fois admis que leur état de dépendance économique requiert une protection, la loi Travail d’août 2016 a fait le choix de privilégier la voie du travail indépendant, en créant un titre du travail applicable, précise l’article L. 7341-1 du Code du travail, aux « travailleurs indépendants recourant, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique ». Ces protections, très modestes, comprennent, pour l’essentiel, la prise en charge par la plateforme d’une partie de la cotisation du travailleur en matière d’accident du travail ainsi que d’une partie de ses frais de formation, la reconnaissance d’un droit de « refus concerté » (l’expression « droit de grève » a soigneusement été évitée !) et du droit de constituer une organisation syndicale. Poursuivant sur cette approche favorable au travail indépendant, la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 a mis en place, au bénéfice des seuls travailleurs des plateformes de mobilité (chauffeurs VTC et livreurs), un système facultatif de charte destiné à donner des protections supplémentaires à ces travailleurs. Un système voué à l’échec depuis la censure par le Conseil constitutionnel d’une disposition certes ambiguë dans son contenu mais dont la finalité ne l’était pas, qui visait à protéger de toute requalification en contrat de travail la plateforme qui adoptait ladite charte . Il était difficile d’être plus explicite dans le choix, assurément influencé par les plateformes elles-mêmes qui ont construit leur business model sur l’évitement du salariat, de privilégier le travail indépendant. Cette censure étant intervenue, il ne reste plus de la loi d’orientation des mobilités qu’un maigre dispositif, entièrement dans les mains des plateformes qui, de surcroit, craignent manifestement qu’en accordant à leurs chauffeurs et autres livreurs indépendants des protections proches de celles des salariés, elles facilitent la requalification en contrat de travail.


Que faut-il espérer de la nouvelle approche, initiée en 2021, qui consiste, toujours à destination des travailleurs indépendants des plateformes, à passer à une logique de dialogue social ? Sur le papier, le changement est prometteur et évite de laisser la régulation entre les mains des plateformes. Il se concrétise par l’adoption successive de deux ordonnances, le 21 avril 2021 et le 6 avril 2022, consacrant une représentation des travailleurs indépendants assortie, sur le modèle du salariat, d’une protection contre la rupture et de l’octroi d’heures de délégation, ainsi que des mécanismes de négociation collective au niveau sectoriel. Les premières élections visant à élire les représentants des travailleurs des plateformes montrent qu’on est encore loin – ce qui est tout sauf une surprise – d’avoir une tradition de dialogue social chez les indépendants, et de disposer d’un rapport de force acceptable. Les chiffres sont édifiants : 2% de votants chez les livreurs, 4% chez les chauffeurs VTC. L’accord collectif signé le 18 janvier 2023, et fixant à 7,65 € net le seuil du revenu minimum d’une course effectuée par un VTC, est très insuffisant pour lever les réserves sur le choix du législateur français de favoriser le statut de travailleur indépendant pour les travailleurs des plateformes.
Sans nul doute la voie de l’accord collectif est-elle largement préférable à celle d’une charte qui n’est rien d’autre qu’un document unilatéral déguisé (« la plateforme peut établir une charte », débute l’article L. 7342-9 du Code du travail ) ! Toujours est-il que la construction d’un droit parallèle de la négociation collective, doté de mécanismes (représentativité, règle majoritaire, extension) calqués sur ceux du droit de la négociation collective applicable aux salariés, invite à la prudence. Le risque n’est pas négligeable d’ouvrir la boite de pandore. Les ordonnances de 2021 et 2022 sont certes exclusivement destinées aux travailleurs des plateformes de mobilité. Il ne faudrait pas, toutefois, qu’il s’agisse d’un premier pas vers la consécration d’un troisième statut, d’application générale, sur le modèle du Royaume-Uni, de l’Espagne ou de l’Italie. En Italie, les employeurs ont bien compris l’effet d’aubaine et nombre de candidats à l’emploi se sont retrouvés avec une sorte de sous-salariat, bien moins protecteur. Au Royaume-Uni, lorsque les juges accueillent la demande de requalification, ils ne requalifient pas en salarié (employee) mais en worker, catégorie intermédiaire qui, entre autres, exclut la protection contre le licenciement.


Le salariat est et doit rester le modèle, et toute tentative d’en détourner les travailleurs qui, dans les faits, sont subordonnés, pour leur appliquer un autre statut doit être combattue. Il n’y a là aucun jugement de valeur sur le travail indépendant, sur le travail réellement indépendant exercé en toute autonomie, sans contrôle, ni direction ni pouvoir disciplinaire. Et il est indéniable que certains travailleurs de plateformes souhaitent rester des travailleurs indépendants. Combattre les stratégies d’évitement du salariat orchestrées par les plateformes n’en reste pas moins une nécessité. La voie principale est celle de la requalification judiciaire en contrat de travail.
Rappelons que ce n’est pas parce qu’un travailleur a signé un contrat en tant que micro-entrepreneur qu’il ne peut pas obtenir le statut de salarié en agissant devant le Conseil de prud’hommes ! La politique de nombre de plateformes consistant à faire de l’immatriculation comme micro-entrepreneur une condition d’accès à ladite plateforme aura pour effet, en droit français, de créer une présomption de non salariat, mais celle-ci pourra être renversée si le travailleur prouve l’existence d’un lien de subordination, comme l’ont montré les fameux arrêts Take Eat Easy , Uber ou, plus récemment, Bolt . Surtout, la définition, pourtant ancienne, de la subordination par la Cour de cassation, complétée par l’indice du service organisé lorsque le pouvoir de direction n’est pas suffisamment caractérisé ( à la place de caractériser la direction du travail on caractérisera la définition unilatérale des conditions de travail), a montré qu’elle peut s’adapter aux nouvelles formes de travail. Pourquoi, du reste, ne pas lui garantir une meilleure effectivité en étendant à la requalification le mécanisme de l’action de groupe, comme l’avaient envisagé les auteurs d’une intéressante proposition de loi ?


Ces tensions entre un législateur qui pousse vers le travail indépendant et des juges qui, même s’il faut bien se garder de toute généralité, corrigent le tir en requalifiant en contrat de travail des situations qui relèvent de rapports de travail subordonnés vont-elles se résorber avec l’arrivée probable de la directive européenne ? Les débats des prochains mois, au niveau européen, apporteront la réponse, en espérant que la France œuvrera maintenant dans le sens d’une version forte de la présomption de salariat. Ensuite, viendra le temps de la transposition de l’éventuelle directive. Car si la présomption de salariat voit le jour, le dispositif actuellement prévu par le Code du travail à destination des travailleurs indépendants des plateformes, qui pousse en sens inverse, ne dispensera pas d’un texte de transposition. Est-ce à dire qu’il devra être abrogé ? Sans doute pas car il restera des travailleurs indépendants des plateformes, même si ce devrait être dans des proportions bien moindres.

 

[1] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/platform-work-eu/
[2] https://www.conseil-constitutionnel.fr/node/20751/pdf
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000037787075/
[4] https://www.courdecassation.fr/decision/5fca56cd0a790c1ec36ddc07
[5] https://www.courdecassation.fr/en/decision/641173e3f6c989fb02435759
[6] https://www.senat.fr/rap/l20-608/l20-6082.htmlhttps://www.courdecassation.fr/decision/5fca56cd0a790c1ec36ddc07[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

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