Image Alt

Après réflexion[s]… L’impérieuse protection des lanceurs d’alertes 

Après réflexion[s]… L’impérieuse protection des lanceurs d’alertes 

[vc_row][vc_column][vc_column_text][/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text css= ».vc_custom_1678378853410{margin-top: 32px !important;margin-bottom: 32px !important;} »]

L’impérieuse protection des lanceurs d’alertes

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]Le rôle de ceux qu’on appelle depuis une vingtaine d’années les « lanceurs d’alerte », traduction du terme anglais de « whistleblower », n’est plus à démontrer. Du Mediator au Wikileaks en passant par les Panama Papers ou encore le Luxleaks, leur contribution à la révélation des scandales majeurs de ce début de 21ème siècle est à la mesure des représailles auxquelles ils s’exposent. C’est ce qu’illustre l’importante décision que vient de rendre la Cour européenne des droits de l’homme, mettant fin au calvaire du salarié français à l’origine du Luxleaks, qui, après avoir révélé des informations confidentielles, avait subi licenciement, perquisition, inculpations pour vol et violation du secret des affaires, avant de se voir reconnaitre par les juges strasbourgeois, le 14 février 2023, la qualité de lanceur d’alerte.

Des citoyens engagés 

Rendue sur le fondement de la liberté d’expression, cette décision conforte l’attention aujourd’hui prêtée aux lanceurs d’alerte qui ne sont plus vus comme des traitres ou des pourfendeurs des intérêts de leur entreprise mais comme des citoyens engagés qui contribuent, avec d’autres, à la lutte contre la fraude et les comportements pénalement répréhensibles. Une attention d’autant plus forte en France que la protection des lanceurs d’alerte fait l’objet d’une législation spécifique dont la dernière pierre a été posée il y a tout juste un an, par une loi du 21 mars 2022 adoptée en transposition d’une directive européenne. Le droit français définit le lanceur d’alerte comme une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, ou encore une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international de la France. Une quinzaine de mesures de représailles sont expressément prohibées, parmi lesquelles le fait d’écarter un lanceur d’alerte d’une procédure de recrutement ou encore de le discriminer en matière d’intéressement ou de promotion professionnelle. La loi de mars 2022 renforce surtout l’effectivité de l’alerte en n’obligeant plus le salarié à faire, au préalable, un signalement en interne ! Le salarié ayant eu connaissance d’informations dans le cadre de ses activités professionnelles peut commencer par adresser un signalement au sein de son entreprise, mais rien ne l’y oblige. Il peut, s’il craint des pressions en interne, passer directement par un signalement externe, à savoir communiquer ces informations à des autorités ou institutions extérieures à l’entreprise (DGT, DGEFP, CNIL, Défenseur des droits, autorité judiciaire, etc.). La troisième voie, celle d’un signalement public, est réservée à des hypothèses restreintes tant elle est potentiellement dévastatrice pour l’image de l’entreprise. Elle peut être, notamment, mise en œuvre lorsque l’autorité externe n’a adopté aucune mesure appropriée en réponse au signalement du salarié ou lorsqu’existe un danger grave et imminent.

Une portée à géométrie variable 

Comme souvent en droit, le dispositif légal voit sa portée dépendre de l’interprétation qu’en feront les juges. Parmi les déterminants, figure la notion de bonne foi puisque, en toute logique, seuls les lanceurs d’alerte de « bonne foi » sont protégés contre les représailles patronales. On mesure aisément, si la bonne foi était entendue de façon restrictive, l’ampleur du risque pris par le lanceur d’alerte qui n’a souvent pas les données suffisantes pour vérifier la véracité des faits qu’il dénonce. Fort heureusement, la Cour de cassation a encore rappelé le 15 février 2023, transposant une solution d’ores et déjà applicable à la dénonciation de faits de harcèlement [1], que l’absence de bonne foi résulte de la connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis [2]. Ce point est d’autant plus important que, depuis mars 2022, lorsque les informations ont été obtenues dans un contexte professionnel, le lanceur d’alerte peut signaler des faits qui lui ont été simplement rapportés (et pas seulement des faits dont il a eu personnellement connaissance).

Sur la question tout aussi cruciale des représailles, le Code du travail est très ouvert dans sa formulation puisque l’article L. 1121-2 prévoit qu’aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, sanctionnée etc « pour avoir signalé ou révélé » des informations dans le cadre de la procédure d’alerte. L’existence d’un lien de causalité entre les mesures défavorables subies par le salarié et l’alerte constitue une question particulièrement délicate, à laquelle le législateur a répondu, comme souvent, en aménageant la charge de la preuve. Il appartient au salarié de présenter des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations protégées par le dispositif des lanceurs d’alerte puis, le cas échéant, à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée. Comme en matière de discrimination et de harcèlement, ce régime dérogatoire est essentiel vu la difficulté que rencontrent les lanceurs d’alerte à prouver que la détérioration de leurs conditions d’emploi découle de l’alerte. Ce régime de preuve s’applique-t-il lorsque, comme le permet la législation sur les lanceurs d’alerte, le salarié saisit le conseil de prud’hommes en référé pour obtenir une décision rapide de réintégration à raison de la nullité du licenciement ? La Cour de cassation vient de répondre par l’affirmative, le 1er février 2023 [3]. Il faudra aussi parvenir à identifier avec précision, sans doute au fil des contentieux, qui sont exactement les facilitateurs (« toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation dans le respect de la loi » [4]) ainsi que les personnes « en lien avec » un lanceur d’alerte[6] puisque la protection leur est étendue. Pour rendre effectif le dispositif légal une acception extensive des personnes protégées parait indispensable.

Droit général versus droit spécial 

Le salarié qui exprime le besoin de révéler des faits répréhensibles sans pouvoir prétendre à la qualité de lanceur d’alerte au sens du dispositif légal est-il néanmoins protégé ? En dehors du dispositif des lanceurs d’alerte, le Code du travail offre une protection à celui qui fait état de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’un danger grave et imminent pour la santé, d’une situation de discrimination, ou de faits constitutifs d’un crime ou d’un délit dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Surtout – et il y a ici un apport majeur de la jurisprudence de la CEDH – il peut se placer sur le terrain plus général de la liberté d’expression, garantie notamment par l’article 10, §1 de la Convention européenne des droits de l’Homme. L’alerte n’est en effet rien d’autre qu’une manifestation de la liberté d’expression, dont la méconnaissance permet d’obtenir la nullité du licenciement, comme pour toute liberté fondamentale [6]. C’est ce qu’illustre un arrêt rendu il y a un peu plus d’un an par la Cour de cassation. Un salarié, engagé en qualité d’assistant par une société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, avait alerté son employeur sur une situation de conflit d’intérêts entre les missions d’expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, et avait menacé de saisir la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC). Il sera licencié pour faute grave quelques jours après avoir mis sa menace à exécution, la lettre de licenciement lui reprochant expressément d’avoir menacé l’employeur de saisir la CRCC. Sur le fondement de la liberté d’expression, le dispositif légal sur les lanceurs d’alerte étant inapplicable à l’époque des faits, la Cour de cassation conclut à la nullité du licenciement [7].

Autre question de frontière, celle entre la protection du lanceur d’alerte et la protection du salarié titulaire d’un mandat de représentation des salariés. Car si les représentants du personnel peuvent déclencher une alerte lorsqu’ils ont connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise [8], lorsqu’est constaté un accroissement important du nombre de salariés en CDD ou en contrat de mission [9], ou encore en cas d’atteinte aux droits des personnes résultant notamment de faits de harcèlement sexuel ou moral [10], rien ne s’oppose à ce qu’ils optent pour le dispositif – individuel – des lanceurs d’alerte. Le fait qu’ils bénéficient, de par leur mandat, d’une protection spéciale contre le licenciement, ne constitue pas un obstacle dirimant. Pour le Conseil d’Etat, lorsque le dénonciateur est un salarié protégé, les deux protections se cumulent si bien que l’Administration, saisie d’une demande d’autorisation de licencier, ne peut autoriser le licenciement sans vérifier que le salarié accusé d’un comportement fautif n’a pas agi sous le couvert de la protection des lanceurs d’alerte [11]. Le nombre d’arrêts rendus ces derniers mois sur le dispositif des lanceurs d’alerte comme, du reste, sur la liberté d’expression, témoigne de l’importance du sujet, mais aussi de ce que la libération de la parole des salariés, dont l’alerte constitue un aspect parmi d’autres, fait encore l’objet de fortes résistances de la part de trop nombreuses entreprises. Des résistances auxquelles il faut s’opposer, dans l’intérêt des salariés et, plus largement, dans l’intérêt général.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column css= ».vc_custom_1678358945848{margin-top: 32px !important;margin-bottom: 32px !important;} »][vc_btn title= »Voir PDF » shape= »square » link= »url:https%3A%2F%2Fwww.brihikoskas.fr%2Fwp-content%2Fuploads%2F2023%2F03%2FLIMPERIEUSE_PROTECTION_DES_LANCEURS_DALERTE.pdf|title:Pdf%20l’imp%C3%A9rieuse%20protection%20des%20lanceurs%20d’alerte|target:_blank » el_class= »btn-pdf-download »][vc_column_text][1] Cass. soc., 19 oct. 2022, n°21-19.449. 

[2] Cass. soc. 15 févr. 2023, n°21-20342.

[3] Cass. soc., 1er févr. 2023, n°21-24271. 

[4] Article 2 – Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022. 

[5] C. trav. art. L. 1132-1 

[6] Cass. soc., 16 févr. 2022, n°19-17.871; C.trav. art. L. 1235-3-1. 

[7] Cass. soc., 19 janv. 2022, n°20-10.057.

[8] C. trav., art. L. 2312-63. 

[9] C. trav., art. L. 2312-70. 

[10] C. trav., art. L. 2312-59. 

[11] CE, 27 avr. 2022, n°437735.[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

Partager