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L’admission des preuves déloyales ou le risque d’une suspicion généralisée dans l’entreprise

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row][vc_row][vc_column][vc_column_text]La recevabilité des preuves déloyales, admise par l’Assemblée plénière le 22 décembre 2023, était malheureusement prévisible. Pour rappel, la chambre sociale de la Cour de cassation autorise, depuis quelques années[1], à la suite de la Cour européenne des droits de l’Homme, la production d’éléments obtenus en violation du droit au respect de la vie personnelle lorsque cela est indispensable à l’exercice du droit à la preuve. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, une preuve peut être obtenue de manière  illicite mais être néanmoins recevable, et pas seulement en matière pénale ! Cette jurisprudence a permis aux employeurs de sauver des preuves obtenues par vidéosurveillance  malgré l’absence  d’information préalable des salariés, le défaut de déclaration à la CNIL pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du RGPD ou encore l’absence d’autorisation préfectorale s’agissant d’un dispositif captant du public. Elle a aussi permis de sauver des illicéités de fond, c’est-à-dire des preuves dont l’objet même est illicite. A pu ainsi être produite la preuve obtenue à l’aide du système de géolocalisation installé sur le véhicule professionnel mis à disposition du salarié, destiné à la protection contre le vol et la vérification du kilométrage mais utilisé pour le surveiller et contrôler sa localisation en dehors de son temps de travail[2].

Preuve illicite et preuve déloyale, même combat

Il restait à concilier ces solutions avec une jurisprudence constante de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui, depuis 2011, refusait par principe toute production de preuves déloyales, c’est-à-dire de preuves obtenues à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème. Fallait-il réserver un sort particulier à ces situations de preuve déloyale, à supposer qu’il soit possible avec un niveau satisfaisant de sécurité juridique de distinguer preuve illicite et preuve déloyale ? Même si la tâche n’était pas impossible, l’Assemblée plénière a fait de la difficulté à les distinguer l’un de ses arguments pour faire sienne la position de la chambre sociale, outre le fait que la Cour européenne des droits de l’homme n’opère pas la distinction. Elle invalide l’arrêt d’appel qui avait écarté des débats parce que déloyale la production par un employeur de l’enregistrement sonore d’un entretien réalisé à l’insu du salarié et sur lequel il s’était fondé pour le licencier pour faute grave[3].  La position de l’Assemblée plénière, qui dépasse le champ des rapports de travail salariés, ne pouvait être plus claire : « il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. »[4]. Il faudra donc, quelle que soit l’irrégularité qui entache la preuve, réaliser un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, à savoir le plus souvent le droit au respect de la vie personnelle.

Une solution aux effets délétères

Si la décision du 22 décembre est tout sauf une surprise, ses effets concrets sont pour le moins préoccupants. A partir du moment où toute irrégularité peut être sauvée, qu’elle soit de procédure ou de fond, qu’elle relève de l’illicite ou du déloyal, tout devient permis : la filature, le détective privé, l’enregistrement clandestin, la lecture à distance des e-mails et SMS du salarié, l’intrusion sur ses réseaux sociaux, l’ouverture de sa webcam … Avec le spectre de créer un climat de suspicion généralisée dans l’entreprise ! Alors que l’on ne cesse de promouvoir la confiance et la loyauté dans les rapports de travail, peut-on donner pire signal  à l’employeur qui a dans l’idée que son salarié travaille pour la concurrence pendant son arrêt maladie ? Il n’aura qu’à installer un micro à l’insu de son salarié, pourquoi ne pas lui tendre un piège dans l’espoir de le mettre devant le fait accompli, puisque même les pires irrégularités peuvent être sauvées lorsqu’elles sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve !

Bien que très discutable tout autant dans son principe que dans sa mise en œuvre, cette jurisprudence ne laisse pas les salariés, et leurs défendeurs, sans capacité de résistance. Sans rentrer dans les détails, plusieurs voies peuvent être empruntées.

Une interprétation stricte de l’exigence de proportionnalité

Il faut, en premier lieu, plaider pour une interprétation rigoureuse voire rigoriste des conditions posées par la Cour de cassation. Même si le droit à la preuve et le droit au respect de la vie personnelle ont tous deux le statut de droit fondamental, un droit de nature procédurale ne devrait pas peser autant dans la balance qu’un droit destiné à protéger la personne même du salarié ! Que cet argument convainque ou pas, la rédaction des arrêts tant de l’Assemblée plénière que de la chambre sociale commande, en tout état de cause, une interprétation stricte.

Rappelons ici les conditions posées par la chambre sociale depuis un arrêt du 8 mars 2023 à propos de la preuve illicite, qui ont toutes les raisons de s’appliquer désormais aussi à la preuve déloyale : le juge doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient un tel recours. Il doit ensuite rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié, et doit, enfin, apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi[5]. Appliquée à la preuve déloyale, la deuxième condition exclut – ce qui constitue un enjeu majeur étant donné les moyens technologiques dont disposent nombre d’entreprises pour pratiquer des enregistrements clandestins – que l’employeur cède à la facilité de pratiquer directement une surveillance clandestine sans avoir cherché au préalable à obtenir la preuve par le biais de moyens licites et loyaux, par exemple des témoignages ou des audits. Car il serait bien trop facile de ne produire devant le juge qu’une preuve illicite ou déloyale et de le justifier par le fait que, dans le cas d’espèce, aucune autre preuve n’existe de la faute reprochée au salarié ! Si un autre mode de preuve était envisageable et qu’ainsi existait une alternative raisonnable, ce qui sera souvent le cas, il faudra soulever l’irrecevabilité en soutenant que les preuves irrégulières ne peuvent être que l’ultime mesure. L’incertitude inhérente au contrôle de proportionnalité (troisième condition) incitera, espérons-le, les employeurs à rechercher en priorité des preuves loyales et licites !

Les faits de vie personnelle hors-jeu

La deuxième voie, très étroite, consiste à se déplacer sur le fond en invoquant la solution aujourd’hui classique, et reprise par un second arrêt du 22 décembre 2023[6], suivant laquelle un fait de vie personnelle du salarié ne peut en principe justifier une faute, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail[7]. Dit autrement, pour qu’une preuve soit susceptible d’être produite en justice au soutien d’un licenciement encore faut-il qu’elle porte sur un fait qui puisse fonder ledit licenciement. L’affaire était la suivante. En l’absence d’un salarié, son remplaçant avait découvert sur son compte Facebook, resté accessible sur son ordinateur professionnel, une conversation avec une autre salariée de l’entreprise.  Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait, dans des termes homophobes, que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle. L’intérimaire avait alors transmis cet échange à l’employeur, ce qui avait entraîné le licenciement pour faute grave du salarié. Pour la Cour de cassation, il s’agissait d’une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique de sorte qu’il n’y avait pas à s’interroger sur la question de la preuve. La voie est étroite. Cette solution ne devrait pas protéger le salarié d’un enregistrement clandestin ou d’une conversation sur les réseaux sociaux qui révèlent une faute de sa part, par exemple qu’il  divulgue des informations confidentielles sur l’entreprise à des tiers alors qu’il a signé dans son contrat de travail une clause de confidentialité[8].

Batailles technologiques 

La position de la jurisprudence étant désormais bien établie, il reste, en troisième lieu, à y puiser des ressources pour faciliter le droit à la preuve des salariés puisque, bien entendu, ce droit s’applique tout autant aux employeurs qu’aux salariés ! Ce serait toutefois une erreur de croire que cette jurisprudence place salariés et employeurs sur un pied d’égalité. L’employeur dispose de moyens de surveillance sans commune mesure à ceux de ses salariés, réduits le plus souvent à utiliser la fonction micro de leur téléphone portable. Ce d’autant que l’employeur a le plus souvent la maitrise à distance du matériel de son salarié (p. ex. lire à distance les messages, surveiller l’usage d’internet …) aussi bien dans l’entreprise qu’à son domicile lorsqu’il pratique le télétravail. Un employeur qui dispose généralement de moyens autrement plus importants pour se procurer des preuves mais aussi pour les falsifier ! Il y a sans doute là un impensé de ces arrêts qui pourraient transformer la preuve en une bataille technologique, que les salariés auront les plus grandes peines à gagner. Est-on en train de transformer le contentieux disciplinaire en bataille d’experts autour de la fiabilité des enregistrements produits par l’un ou l’autre des protagonistes ?

A force de vouloir tout traiter sous l’angle de la proportionnalité et de chercher systématiquement l’équilibre des droits dans des rapports déséquilibrés, on en arrive à des solutions indéfendables. En se rappelant que l’on attend du droit – et pas uniquement de la législation du travail – qu’il rééquilibre les rapports de travail subordonnés par des mesures de protection ciblées sur la partie faible, on se serait peut-être épargné pareille solution qui, non seulement aggrave le déséquilibre mais aussi et surtout risque de dégrader encore un peu plus les rapports sociaux dans les entreprises.

 

[1] Pour aller plus loin, voir sur ce pont – notre chronique « après réflexion [s] »  du 27 avril 2023 « Pas de droits sans preuve »

[2] Cass. soc. 22 mars 2023, n°21-24.729.

[3] Cass. Ass. Plén.  22 déc. 2023, n°20-20.648.

[4] Cass. Ass . Plén., préc.

[5] Cass. soc. 8 mars 2023 no 21-20.798.

[6]  Cass. Ass. Plén.. 22 déc. 2023, n°21-11.330

[7] V. p. ex. à propos des infractions au code de la route, Cass. soc. 4 oct. 2023, n° 21-25.421.

[8] https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2023/12/22/communique-usage-devant-le-juge-civil-dune-preuve-obtenue-de-facon[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

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